Live News

La mixité au sein des académies fait débat

La mixité au sein des académies est en discussion, alors qu’elle existe au pré primaire, primaire et tertiaire.

Depuis le début, les académies fonctionnent en mode mixte. Mais les autorités réfléchissent aujourd’hui à un changement de cap. La réforme envisagée relance un débat sensible.

«Ce n’est ni par caprice politique, ni par idéologie que le ministère de l’Éducation évoque aujourd’hui la question de la mixité », soutient le directeur adjoint par intérim, Preetam Mohitram. L’idéal pour le ministère reste une mixité généralisée, continue, de Grade 1 au Grade 13. « En principe, la mixité est un levier d’égalité, de respect mutuel et de vivre-ensemble, mais l’école mauricienne est structurée ainsi : pré-primaire, primaire, secondaire, avec des réalités, des contraintes et des contextes différents à chaque niveau. »

Preetam Mohitram est d’avis que « le débat actuel ne remet pas en cause la valeur de la mixité, mais interroge les conditions de sa réussite réelle, ici et maintenant ». Il précise d’emblée que l’idée d’une remise en question partielle de la mixité n’est pas venue du ministère seul : « Elle a émergé lors des consultations, des Assises de l’éducation, au contact des enseignants, des recteurs, des parents, des syndicats et d’acteurs de la société civile. »

Selon lui, les préoccupations exprimées portaient sur :
• un climat scolaire de plus en plus difficile,
• un affaiblissement de l’autorité scolaire,
• une banalisation des règles,
• un déclin perçu de certaines valeurs éducatives.

Notre interlocuteur affirme que le vrai problème n’est pas la mixité seule, mais un contexte éducatif plus large : « Réduire le débat à “pour ou contre la mixité” est simpliste et réducteur. Le ministère observe un glissement culturel chez les adolescents, une pression énorme des réseaux sociaux, qui valorisent parfois la transgression, le hors-norme, la facilité, le rejet de l’effort, ainsi qu’une démission parentale partielle, dans certains cas, et une audace croissante de certains comportements qui rend le vivre-ensemble plus complexe à gérer. »

Cependant, l’objectif central du ministère est clair : permettre aux élèves d’apprendre dans un climat serein, structuré et exigeant. « Il ne s’agit pas de stigmatiser, ni les filles ni les garçons, ni de reculer socialement. Il s’agit de corriger des maldonnes, là où elles existent. La priorité reste l’apprentissage, la formation, la réussite éducative », indique-t-il.

Preetam Mohitram précise également que « la non-mixité scolaire ponctuelle ou ciblée n’est pas une ségrégation. C’est, dans certains contextes, un outil pédagogique transitoire, pour apaiser le climat scolaire, pour mieux répondre aux besoins spécifiques, pour corriger certaines inégalités de parcours. Il s’agit de préparer mieux, pas d’exclure ».

Il ajoute qu’une mixité réussie suppose une préparation pédagogique sérieuse, un accompagnement des élèves, un curriculum adapté, des aménagements infrastructurels adéquats et une formation continue des enseignants. « Le ministère de l’Éducation n’a pas dit son dernier mot… Le débat sur la mixité ne doit pas être un combat idéologique, mais une réflexion responsable. L’école doit d’abord offrir un cadre propice à l’apprentissage, au respect et à la réussite. C’est à cette condition que la mixité pourra pleinement jouer son rôle, non comme un slogan, mais comme une réalité éducative maîtrisée », soutient-il.

Aucune décision prise

Le ministre de l’Éducation, Mahend Gungapersad, a réaffirmé à l’Assemblée nationale, le 9 décembre dernier, qu’aucune décision finale n’a encore été prise concernant l’abolition de la mixité. D’ailleurs, une consultation de toutes les parties prenantes est en cours pour écouter et prendre en compte leurs avis. Le ministre a rappelé que le projet de réforme s’appuie sur les Assises de l’Éducation organisées en avril 2025 à Maurice et en mai 2025 à Rodrigues. Un comité interministériel a également examiné les propositions et formulé des recommandations.

Lors des Assises, plusieurs intervenants ont exprimé leurs réserves quant au modèle de mixité dans les académies, à l’exception du Mahatma Gandhi Institute. Le ministère mène actuellement une consultation nationale qui prendra fin le 20 janvier 2026 afin de recueillir l’avis du public sur la mixité et les modalités d’admission dans les collèges.

Leela Devi Dookun-Luchoomun : « Il n’y a eu ni étude ni rapport officiel »

L’ancienne ministre de l’Éducation, Leela Devi Dookun-Luchoomun, n’a pas mâché ses mots face aux critiques visant les académies. Elle a tenu à rappeler « qu’il n’y a jamais eu d’étude ni de rapport officiel réalisé sur le comportement des élèves dans les académies ». Selon elle, des cas d’indiscipline ont certes été relevés, mais jamais à un niveau qui justifierait une remise en cause des décisions prises. « L’indiscipline existe partout et elle n’est pas plus marquée dans les académies », estime-t-elle.

La polémique autour de la mixité a particulièrement suscité sa réaction. Pour l’ancienne ministre, remettre en question la présence conjointe des filles et des garçons est une idée dépassée. « Nous vivons dans une société moderne. Les enfants doivent grandir ensemble pour mieux se comprendre et apprendre le respect », a-t-elle déclaré.

Elle a également souligné que les élèves partagent déjà les mêmes bancs au primaire et au niveau universitaire. « Je ne vois pas pourquoi cela ne serait pas possible dès la Grade 10 », a-t-elle ajouté, appelant à faire confiance aux jeunes et à leur capacité de vivre ensemble dans le respect.

Début de la mixité dans les académies

C’est en 2021 que les académies ont ouvert leurs portes. Avant cette échéance, des travaux avaient été engagés pour équiper les collèges de salles spécialisées, de sanitaires et d’infrastructures jugées indispensables pour les filles et les garçons. D’ailleurs, dès 2018, les admissions avaient cessé dans les douze établissements destinés à être convertis en académies.

Quand la mixité arrive trop tard

Basheer Taleb, pédagogue, estime que le problème de la mixité scolaire ne réside pas dans son principe mais dans sa mise en œuvre. « Elle est introduite tardivement, brusquement et sans préparation. Les adolescents, intégrant les académies mixtes à 15 ou 16 ans, se retrouvent, à un âge sensible, confrontés à une dynamique sociale nouvelle qu’ils ne savent pas gérer. »

Il souligne que la coéducation a été mal comprise et mal appliquée par les administrateurs, entraînant des dérives, comme la circulation de vidéos indécentes sur les réseaux sociaux. La combinaison entre une génération ultra-connectée et une transition éducative mal encadrée a favorisé ces débordements.

Cependant, dans les établissements où la mixité existe depuis la Grade 7, les difficultés ne se posent pas : ces écoles disposent d’un système structuré, d’enseignants formés et d’une acceptation parentale installée. Les élèves y sont préparés progressivement, ce qui change leur prédisposition à la coéducation.

Le pédagogue souligne que le débat sur la mixité repose sur deux facteurs : l’âge des adolescents et la formation des équipes éducatives. Il plaide pour une préparation progressive dès la petite enfance, soutenue par parents, éducateurs et institutions, afin que le vivre-ensemble devienne naturel.

La mixité scolaire, un atout

Consultant en éducation et pédagogue, Ritesh Poliah s’interroge sur la volonté du ministère de l’Éducation d’éliminer la mixité dans les collèges publics. Selon lui, les pays qui réussissent à l’échelle mondiale affichent une quasi-totalité d’établissements mixtes. « À Singapour, par exemple, toutes les écoles, collèges et universités sont en coéducation : filles et garçons y étudient ensemble », souligne-t-il.

À Maurice, la situation diffère. « La mixité existe au pré-primaire et au primaire, mais le débat s’ouvre au niveau du secondaire. Je ne comprends pas où se situe le problème si l’on parle de mixité dans les collèges publics. »

Pour le consultant, les expériences internationales démontrent que la mixité favorise l’adaptation au monde réel. « Quand garçons et filles travaillent ensemble, ils développent des compétences sociales et une meilleure communication. Dès le préscolaire, ils apprennent le respect du sexe opposé. Les statistiques montrent que les élèves en milieu mixte réussissent mieux », insiste-t-il.

Il s’interroge : « Pourquoi l’île Maurice veut-elle faire le pas vers l’élimination de la mixité ? Existe-t-il des cas de viols ou de harcèlement sexuel dans nos écoles ? » Il rappelle que la mixité fonctionne dans les collèges privés et s’étonne qu’elle soit remise en cause dans le public.

Gaelle Schluchter : « Dans une société patriarcale, la mixité dans les écoles ne peut pas se faire sans une éducation complète… »

Gaelle Schluchter, fondatrice de Lesprisexy, donne son opinion sur la mixité. Elle soutient que : « séparer les filles et les garçons, en pleine construction et recherche identitaire, c’est comme couper les ailes à un oiseau qui apprend à voler. »

Quel constat du terrain faites-vous concernant le genre et les violences ?
Le constat sur le terrain est accablant. Les stéréotypes et les violences liés au genre ont encore de belles années devant eux. Dans nos ateliers d’éducation affective et sexuelle, la question du genre soulève toujours un grand débat et passionne les petits, les ados et les adultes. On entend des enfants et des adolescents qui disent : « Si enn tifi fer move gayn drwa bat li » ; « Enn zom pa kapav plore » ; « Enn zom li bizin okip so madam, enn fam li bizin okip so misie » ; « Enn fam li fer pou donn trou » ; et j’en passe. Il reste tout à faire en matière d’éducation sur l’égalité du genre et c’est un des nombreux sujets d’éducation à la vie affective et sexuelle pour lequel nous militons avec Lesprisexy.

Pourquoi la non-mixité scolaire est-elle une proposition problématique aujourd’hui ?
Dans la société ultraconnectée dans laquelle nous vivons, n’est-ce pas surréaliste de parler d’un retour à la non-mixité ? Les adolescents ont déjà accès à un nombre incalculable de contenus qui peuvent déjà les influencer et les biaiser dans leur perception du genre. D’un point de vue positif, je salue notamment l’initiative « The Green Flag Project » qui vise à promouvoir une masculinité positive et qui devrait être mise en place dans toutes les écoles. D’un point de vue négatif, je lance l’alerte sur les nombreux mouvements qui prennent de l’ampleur sur les réseaux, comme les « masculinistes » ou « les « incel » (les célibataires involontaires). En effet, ces idéologies misogynes et antiféministes se répandent à travers leur monde et sèment la violence, le rejet et la haine dans notre société. Réinstaurer la non-mixité dans les collèges, c’est comme foncer dans un mur !

Comment se construit l’identité de genre chez l’enfant ?
L’identité du genre est une construction personnelle et sociale avec différentes étapes. L’identification au genre commence vers 2-3 ans avec : « Je suis une fille ou un garçon ». Ensuite vers 4 ans, l’enfant comprend que le genre est une notion stable, mais qu’elle peut évoluer en fonction de l’expression ou des activités : « Je suis une fille ou un garçon et c’est comme ça, mais je peux choisir comment je m’habille et à quel jeu je joue ». À partir de 6-7 ans, il comprend les stéréotypes et les différentes expressions de genre et sa vision ne cessera de se construire et de se développer en fonction de ce qu’il reçoit comme éducation au sens large, c’est-à-dire, par la famille, par les médias, par les pairs et bien sûr par l’école ! 

Pourquoi la séparation filles/garçons à l’école est-elle néfaste ?
Séparer les filles et les garçons en pleine construction et recherche identitaire, c’est comme couper les ailes à un oiseau qui apprend à voler. Et une question très importante : qu’est-ce que la proposition prévoit pour les personnes avec une identité de genre différente comme les personnes transgenres ou non binaires ?

L’actualité le prouve presque quotidiennement, les violences liées au genre, les violences sexuelles avec ou sans contact, le harcèlement et même les féminicides sont une partie des conséquences d’une société qui n’a pas été éduquée à l’égalité des genres. 

Quelles recommandations proposez-vous pour avancer ?
Dans une société patriarcale, la mixité dans les écoles ne peut pas se faire sans une éducation complète et de qualité sur l’égalité des genres. Il est urgent de commencer le plus tôt possible pour tous. Mes recommandations vont pour avancer dans le bon sens avec la mise en place d’un cursus à la vie affective et sexuelle dès le plus jeune âge dans lequel on met l’accent sur l’égalité des genres, le consentement et la bienveillance. Un programme adapté au niveau de la compréhension et des besoins de l’enfant pour l’accompagner dans son développement et lui permettre de vivre des relations saines et respectueuses est utile. 

Témoignages des élèves 

Saniyah Hossenbocus : « Ce serait un recul   »

« La mixité à l’école, une situation dans laquelle les filles et les garçons apprennent ensemble, suscite un débat passionné. D’un côté, elle favorise l’égalité des genres, prépare à la vie en société et enrichit les échanges. Les études, comme celles de l’Organisation de coopération et de développement économiques, montrent que les élèves en classes mixtes développent de meilleures compétences sociales et une plus grande ouverture d’esprit. Les stéréotypes s’effritent naturellement, et les performances scolaires s’améliorent globalement, surtout pour les filles qui gagnent en confiance face aux garçons.

Faut-il séparer filles et garçons ? Certains prônent l’enseignement différencié pour répondre aux rythmes d’apprentissage distincts – les garçons plus actifs, les filles plus attentives en groupe. Des expériences en Corée du Sud ou aux États-Unis notent des progrès en maths pour les garçons et en lecture pour les filles. Pourtant, cette séparation risque de renforcer les inégalités et de freiner l’émancipation.

À mon sens, la mixité reste idéale si elle s’accompagne de pédagogies adaptées. Séparer les filles et les garçons serait un recul, sauf dans des cas spécifiques. L’école doit unir et non pas diviser. »

Andrew Julie : « Séparer les filles et les garçons va aggraver la situation  »

« À mon sens, il n’aurait jamais dû être question de revenir à une séparation des genres. Les années scolaires façonnent profondément la personne que nous devenons. L’éducation dispensée par l’école ne se limite pas aux savoirs académiques : permettre aux garçons et aux filles d’interagir et d’évoluer ensemble dans un environnement sain constitue la base même d’une société plus inclusive et collaborative.

Dans le climat actuel des réseaux sociaux, on observe une montée préoccupante de l’idéologie incel à travers ce que l’on appelle le « red pill content », qui promeut fortement des discours sexistes, misogynes et autoritaires. En tant que garçon, j’ai moi-même constaté les dégâts que ces contenus ont causés sur la mentalité de certains de mes pairs, et c’est extrêmement alarmant. Séparer les garçons et les filles dans un tel contexte ne ferait qu’aggraver la situation et pousser notre société vers une régression. Il est aujourd’hui plus important que jamais de briser ces stigmates. »

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !